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L’anomalie du congé création d’entreprise

samedi 21 janvier 2006

Marie HAUTEFORT [1].

Source : Les Echos Le 17-01-2006


Après un congé pour création d’entreprise, la réintégration du bénéficiaire est de droit sans que l’employeur puisse exiger la preuve du projet d’entreprise.

Après cinq ans de bons et loyaux services auprès de sa société, une entreprise de sept salariés, un ouvrier sollicite et obtient un congé d’un an pour création d’entreprise. A l’échéance prévue, il fait une demande de réintégration à laquelle l’employeur répond en lui demandant de justifier qu’il a bien accompli des démarches en vue de créer une entreprise. On lui réclame également de préciser la nature de l’activité de l’entreprise créée.
Le salarié, s’y étant refusé, reçoit un courrier lui indiquant que, faute d’être en mesure de démontrer qu’il a respecté la finalité du congé, il perd ses droits. Il est inutile qu’il se présente dans l’entreprise, il n’y sera pas réintégré. Se considérant comme injustement mis à la porte, l’intéressé saisit les prud’hommes et demande une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Devant les juges, l’employeur plaide la tromperie : à ses yeux, un salarié qui demande un congé pour créer une entreprise doit, pour le moins, accomplir des démarches dans ce sens ; s’il ne le fait pas, c’est lui qui est fautif. Il ajoute que s’il avait su qu’en réalité, le salarié voulait s’offrir un congé sabbatique, il n’aurait pas donné son accord car sur un si faible effectif, une absence de longue durée entraîne une grande désorganisation. Encore faudrait-il, lui rétorquent les juges, que la loi contraigne le salarié à fournir les preuves réclamées. Or, on cherche en vain dans l’article L. 122-32-16 du Code du travail une disposition allant dans ce sens : si les délais et formes ont été observés, la réintégration est de droit, un point c’est tout (Cass. soc., 1er déc. 2005, n° 04-41.394) !

Obligation de loyauté

Curieuse loi que ce texte qui date du 1er janvier 1984 et a été revu par la loi du 1er août 2003 sur l’initiative économique : toutes les conditions sont concentrées sur le début du congé, rien sur la fin : au moment où a lieu la demande, en effet, le Code du travail exige que le salarié donne à l’employeur suffisamment d’indications sur ses projets pour que celui-ci puisse donner son accord en connaissance de cause et, en particulier, s’assurer que le salarié n’a pas pour projet de créer une entreprise concurrente. On comprend cette précaution prise par le législateur, mais nul ne se serait étonné que les mêmes contraintes d’information soient imposées à la fin du congé. Car, du projet à la réalisation, il peut y avoir des différences. Bizarrement, pourtant, le législateur a totalement négligé la période du retour...

Face à ce texte lacunaire, les juges ne pouvaient lui faire dire ce qu’il ne dit pas. Ce n’est pas la Cour de cassation qu’il faut ici critiquer : on ne peut que s’incliner devant cette interprétation littérale de la loi, mais c’est vers le législateur qu’on a envie de se retourner pour qu’il rectifie cette anomalie. En effet, l’absence de justification ouvre la porte à des abus car les conditions d’accès sont plus souples que celles du congé sabbatique : il suffit de 24 mois d’ancienneté pour revendiquer un congé « création d’entreprise » alors qu’il faut douze mois de plus pour pouvoir prétendre à un congé sabbatique. Autre avantage : le congé pour création d’entreprise est fixé à un an renouvelable une fois alors que le congé sabbatique est limité à 11 mois.

Imaginons maintenant un salarié en poste depuis deux ans qui désire faire le tour du monde : le congé sabbatique ne lui est pas ouvert, le congé sans solde n’est pas un droit, mais il lui reste une solution : faire état d’une création d’entreprise imaginaire pour réaliser son projet...

Dans l’état actuel des choses, qu’aurait pu faire l’employeur ? On sait maintenant qu’il ne peut pas refuser de réintégrer le « faussaire », mais n’aurait-il pas pu, après coup, le licencier pour manquement à l’obligation de loyauté ? Ça s’envisage. On sait, par un arrêt ancien (Cass. soc., 13 févr. 1991, no 88-43.837) qu’il est possible de sanctionner un salarié, a posteriori, pour utilisation illicite du congé (le salarié avait créé une entreprise concurrente et avait été licencié pour faute grave). On peut donc imaginer un licenciement pour tromperie ayant porté préjudice à l’employeur. Une fois de plus, une TPE a été condamnée pour ne pas avoir maîtrisé la technique juridique.



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