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mardi 14 mars 2006
Auteur : Marie HAUTEFORT [1]
Source : Les Echos Le 14-03-2006
Comme l’avaient annoncé les juristes dès le départ, l’employeur qui recrute en CNE conserve des obligations à l’égard de son salarié.
Le conseil des prud’hommes de Longjumeau vient de rendre un jugement sur une affaire assez caricaturale en matière d’usage abusif du CNE.
Une petite entreprise recrute, le 7 juin 2005, un contrôleur technique automobile. C’est un poste permanent dont elle a besoin, aussi conclut-elle avec le candidat retenu, M. P., un contrat à durée indéterminée en prévoyant une période d’essai d’un mois, renouvelable une fois.
Conformément aux prévisions du contrat, la période d’essai est renouvelée le 6 juillet 2005. Elle doit donc, le 6 août au soir, si elle est jugée concluante, se transformer en contrat définitif. Mais deux jours avant la date fatidique, soit le 4 août 2005, la loi sur le contrat nouvelles embauches est entrée en vigueur. Le 6 août, notre contrôleur se voit remettre simultanément deux lettres : la première, en provenance de la société qui l’emploie, l’informe qu’il est mis fin à sa période d’essai, la seconde, signée d’une société dont son ancien patron est associé, lui propose un contrat nouvelles embauches. M. P. fait le dos rond et se met au travail. Pas pour longtemps car, dès le 30 août, son CNE sera rompu. Inutile de dire que l’intéressé se précipite au conseil de prud’hommes pour réclamer réparation.
Le juge prud’homal n’est pas dupe des artifices cousus de fil blanc de l’employeur : il est bien certain que, derrière les deux sociétés, il n’y a qu’un seul et même employeur qui s’est rendu coupable de deux abus de droit : résiliation abusive de la période d’essai et résiliation abusive du CNE. Ces deux ruptures successives s’analysent comme un licenciement abusif et ouvrent droit à des dommages et intérêts que le conseil de prud’hommes va évaluer à six mois de salaire, condamnation remarquable et qui se veut certainement exemplaire, pour quelqu’un qui est resté moins de trois mois dans l’entreprise (Conseil prud’hommes Longjumeau, 20 févr. 2006, no F 05/00.974).
Il faut dire que la ficelle était grosse, mais même avec plus d’habileté les employeurs qui ont recours aujourd’hui au CNE et demain au CPE doivent être conscients que ces nouvelles formes de contrat ne leur donnent pas un droit souverain sur des salariés « jetables » à merci.
A l’heure qu’il est, plusieurs recours ont été portés devant la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) sur la base de deux textes internationaux auxquels la France a adhéré, la convention OIT (Organisation internationale du travail), articles 2 et 4, et la Charte sociale européenne, article 24.
L’article 2 porte sur le champ d’application de la convention OIT et permet d’en écarter « les travailleurs effectuant une période d’essai ou n’ayant pas la période d’ancienneté requise, à condition que la durée de celle-ci soit fixée d’avance et qu’elle soit raisonnable ».
L’article 4, pour sa part, énonce le principe suivant : « Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service. »
Présenter un motif « valable »
Il faut donc que ce motif « existe », ce qui permet au salarié d’attaquer s’il l’estime inexistant. L’employeur doit être en mesure de s’expliquer devant le juge. Rien ne dit toutefois qu’il doit prendre les devants.
L’article 24 de la Charte sociale européenne est d’autant plus clair qu’il est bref : « Tous les travailleurs ont droit à une protection en cas de licenciement. » Le texte explicatif annexé reprend les termes de l’article 2 de la convention OIT permettant d’exclure les salariés en début de contrat pendant un délai raisonnable. Il énumère ensuite les motifs qui ne sont pas « valables ». Pour faire court, ce sont les motifs discriminatoires liés au sexe, à la race, aux activités syndicales, à la maladie, la maternité ou le congé parental, auxquels on a ajouté le fait, pour un travailleur, d’avoir déposé une plainte ou engagé des poursuites contre l’employeur en raison d’une violation de la loi.
La CJCE va donc devoir se prononcer successivement sur deux points : une période de deux ans constitue-t-elle un délai raisonnable permettant d’écarter les salariés de la protection en cas de licenciement et, sinon, l’exigence d’un motif valable suppose-t-elle l’information préalable du salarié ? Ce n’est pas certain mais ce qui l’est, c’est que les employeurs doivent se tenir prêts à présenter leur motif « valable » au conseil de prud’hommes.